Il ne faut jamais bouder sa joie et celle de la libération surprise de Mme Ingrid Betancourt est immense.
Pour moi elle signifie la fin d’un cycle de combats commencé en 1997 après la publication du Livre Noir du Communisme et qui visaient à faire prendre conscience que des pages nouvelles de ce livre horrible s’écrivait encore tous les jours, ici et maintenant.
Avec mon regretté ami Léon Chaix, nous avons décidé à cette époque de montrer que les mêmes crimes idéologiques continuaient en Colombie, au Népal et sur une échelle moindre au Zimbabwe. Nous considérions que l’opinion dans cette affaire était cruciale et qu’il fallait se mobiliser pour mettre fin au martyre de populations innocentes. Bien que tous ces crimes fussent commis par des mouvements qui se réclamaient de la gauche, il fallait les condamner dans une perspective de gauche.
Comme nous étions seuls en 1997 ! Qui se rappelle que Jean François Revel venait de révéler que le comité d’entreprise de la RATP, CGT communiste, avait cédé des bus de réformes aux Farc ? Qui se rappelle qu’à chaque premier Mai, les Farc défilaient avec la CGT au nom des luttes contre l’impérialisme yankee et de la libération des peuples ?
Les crimes des Farc, immenses, ignobles, répétés étaient tout simplement tus par la presse française. Nous étions dans la phase d’Occultation du syndrome décrit par Léon. Toute dénonciation de ces crimes horribles étaient immédiatement l’occasion d’un déchaînement ahurissant de haine et de violence de la part de ceux qui voulaient absolument se montrer un bon petit soldat du socialisme.
- Les victimes n’étaient pas innocentes mais des complices ignobles de la réaction
- La violence était nécessaire pour contrer celle encore plus forte de « l’oligarchie sous influence de l’impérialisme Yankee »
- Toute personne qui ne croyait pas cela était automatiquement un « fasciste ».
J’ai environ 30 pages d’insultes ad hominem récoltées sur le forum du Monde, de la part de socialistes « vraiment socialiste » et soucieux de tenir le haut du pavé. Leur discours était toujours le même, marque typique de l’idéologie qui débite ad nauseam le même discours automatique.
Ces réactions ne faisaient que traduire un esprit général et parfaitement compris dans les medias : attention à ne pas parler des Farc sinon l’accusation de Fasciste surgirait aussitôt et adieu les belles perspectives de carrière.
C’est l’époque Le Monde sortait un article indigne sur les Farc et Internet, sur le thème les gentils guérilleros sont aussi des modernes astucieux qui savent utiliser toutes les ressources de la modernité. Ne parlons pas du Monde Diplomatique, ce torchon. La dénonciation de la pusillanimité devant les crimes de masse des Farc nous valurent nos premières censures sur le Forum du Monde.
Pourtant que disions nous : que les Farc, organisation communiste, commettait à répétition des crimes contre l’humanité épouvantables contre lesquels il fallait se mobiliser, au nom des droits de l’homme ! et que notre passivité nous rendait complice de ce qui se passait en Colombie et des nouvelles pages noires qui s’y écrivaient. A tous ceux qui nous insultaient nous répondions inlassablement : votre combat est perdu d’avance ; vous serai obligé d’en venir aux mêmes condamnations que nous prononçons. Il n’y a pas de bons crimes contre l’humanité, même si les bourreaux se réclament du socialisme, du communisme, de la révolution prolétarienne et du marxisme léninisme. Version bolivarienne bien sûr.
Alors non au silence sur les exécutions sommaires, les attaques de civiles à la bonbonne de gaz, les enlèvements systématiques et massifs pour des durées effroyables, la terreur dans les campagnes et dans les villes. Nous en venions à traduire des articles colombiens relatifs à des crimes affreux pour simplement TEMOIGNER.
Au milieu des insultes.
Puis est arrivé la période du négationnisme et de la minimisation. Les crimes étaient trop massifs trop évidents, trop ignobles pour qu’on puisse les taire totalement. L’important était pour la presse socialiste de faire en sorte que l’image du socialisme n’en soit pas altérée chez les esprits partisans du « parti des bons ». Nous avons dénoncé au jour le jour toutes les désinformations d’un prêt à penser rassurant pour les « forces de progrès ». Ces journaux reprenaient mot pour mot la propagande menée en leur direction par Reyes. Un accrochage avec l’armée montre que les Farc mettaient en première ligne des enfants et notamment des jeunes filles. On lance une campagne sur le thème : l’affreuse armée Colombienne inféodée aux Etats-Unis tue les enfants d’un village ! Les autres medias se taisaient. Le Monde passait les communiqués des Farc niant être l’auteur de crimes qui n’avaient même pas été cité dans le journal.
En même temps la part énorme prise par les Farc dans le business de la drogue et du Kidnapping était systématiquement minimisée. Les mauvais, c’étaient les AUC, ces mouvements contre révolutionnaires, les autres, les Farc et l’ELN étaient des bons révolutionnaires qui évidemment cassaient quelques œufs mais c’était pour le bien de la Colombie.
Puis est arrivée Pastrana qui a souhaité faire la paix avec les Farc en leur concédant un territoire protégé de toute répression. Au fond tout le monde souhaitait que l’affaire s’arrange et qu’on en termine avec une guerre absurde. Même les injurieurs socialistes de forum étaient mal à l’aise devant l’évidence des crimes contre l’humanité commis à répétition par les Farc. Et puis le peuple colombien dans sa majorité énorme ne voulait plus entendre parler de cette guerre civile sans raison et des ignominies des Farc. La dénonciation par les journaux Boliviens de toute tendance du parti pris pro FARC en occident et notamment au sein de certaines ONG, aux rapports biaisés voire carrément mensongers finissait par créer une certaine mauvaise conscience
Car l’expérience Pastrana montrait qu’il n’y avait rien à tirer des Farc qui exploitaient la trêve pour se refaire la cerise et activaient les réseaux internationaux de propagande tout en multipliant crimes et enlèvements. C’est l’époque où des représentants des Farc font leur tournée en Europe et passe même dans certaines rédactions parisiennes amies, une information tolérée sur le coup car tous les témoins étaient là , mais niée ultérieurement (comment prouver le fait 5 ans après ?). Tous ceux qui dénonçaient l’irrédentisme des Farc et leurs crimes répétées étaient alors traités « d’ennemis de la paix ». Et de fascistes naturellement.
Il fallut se rendre à l’évidence : les Farc ne feraient jamais la paix et ne pensaient qu’à s’installer dans le crime. Pastrana s’écarta et Uribe fut élu sur une politique de répression militaire dure des Farc. Que n’écrivit pas comme sottises la presse socialiste. Uribe était nécessairement un « fasciste » « représentant de l’oligarchie », « inféodé à l’impérialisme yankee, et complices des AUC. Un salaud quoi ! Interdit dans le monde journalistique français de sortir de cette caricature partisane qu’on retrouvait dans la presse écrite (Le Monde, Le Monde diplomatique, Libération, Le Canard Enchaîné, Le Nouvel Observateur, l’humanité, le JDD, Marianne) mais aussi parlée : notamment sur France Inter.
Vint alors l’enlèvement d’Ingrid Betancourt. Cà c’était vraiment embêtant. L’otage était voyante et française au moment où les prises d’otages français au Moyen Orient avait sensibilisé l’opinion. Difficile de parler de la rayonnante humanité du bon guérillero émule du Che et de l’alter-mondialisme anti Davos avec une pareille affaire sur les bras.
Que firent les officines médiatiques socialistes ? Le gros dos. On redoubla de silence. On laissa entendre que l’Ingrid Betancourt, elle n’était vraiment pas blanc bleu et qu’allait faire cette cruche au plus fort des zones du juste combat ?
Mais le morceau était dur à avaler. D’autant que les crimes des Farc atteignaient des sommets terrifiants avec de nombreuses exécutions sommaires, des liquidations de villages, des extorsions de fonds quotidiennes, des attentats terroristes. Les Farc furent alors classés Organisations terroriste par l’Europe et les Etats-Unis. Un vent mauvais soufflait pour les défenseurs de la vraie foi socialiste.
D’autant que Jacques Chirac prenait fait et cause pour Ingrid Betancourt et s’engageait dans une aide ferme au Comité de Soutien dont l’action allait être parfois ambiguë mais qui avait l’immense mérite de charger d’humanité une victime au sort tragique. L’opinion fut bientôt informée que des enlevés, il y en avait des centaines et même près de 1500, que leur supplice était effroyable, qu’il durait parfois depuis plus de 10 ans.
Il ne faut pas croire que le retournement de l’opinion fut immédiat. Ingrid Betancourt lors de son premier discours de femme libre a remercié ceux qui l’avaient soutenu « au moment où cela n’était pas politiquement correct ». Ce moment dura énormément.
Le premier reportage objectif sur les Farc est venu de France 3. Bien sûr il ne s’agissait pas de dire du mal des Farc. Toujours cette même peur de passer pour un fasciste. Mais de façon subliminale, l’ampleur des crimes des Farc apparaissait. On y voyait une femme terrorisée par les Farc et sur un mur la photo d’un couple sympathique mais éliminé par les Farc comme « contre révolutionnaire » par un tribunal populaire. Leur crime : aucun. Ils étaient des symboles « bourgeois » : on les a tués pour créer un sentiment de terreur dans la population. Du travail révolutionnaire de base. Mais pour la première fois les quelques français qui ont regardé l’émission pouvait voir le visage d’innocents massacrés par les Farc.
Ne croyez pas cependant que les mille et une photos et reportages sur les autres crimes des Farc eurent droit de séjour dans les télévisions françaises. Chut !
Lors des élections présidentielles je fis campagne contre la LCR qui déclarait les Farc « Organisation amie » sur son site. La LCR finit par supprimer la mention. En 2007 ! La bascule de l’opinion eut lieu finalement en 2008, les tentatives successives de libération d’Ingrid Betancourt rappelant un peu trop vivement le caractère impitoyable de Marulanda et de Reyes. Les deux gibiers de TPI qui dirigeaient les Farc.
On est alors entré dans la phase « exonération » de la séquence de Léon Chaix. « D’accord ce sont des salauds, mais nous on l’a toujours dit et cela ne concerne en rien notre bonne doctrine socialiste ». La mort de Reyes puis celles de Marulanda et d’autres chefs des Farc, les évasions de prisonniers, les désertions en masse de guérilleros avec leurs témoignages sur les méthodes infects des Farc, la révélation des complicités entre Farc et de nombreuses organisations internationales dont le Venezuela de Chavez et l’Equateur de Correa mais allant jusqu’au Brésil et en Europe, tout cela exigeait un changement radical d’attitude.
Un article dans le Canard enchaîne signé Pagès sur « la faucille et le Narco » donna le signal du départ. Dans les trois jours qui suivirent toute la presse y alla de son couplet anti Farc : le Monde puis le Figaro et même Le Soir à Bruxelles. Dire la vérité sur les Farc n’était plus interdit. On ne risquait plus de passer pour un fasciste. Alors les bouches se délièrent. Il fut possible de dire la vérité sur les Farc dans la fiche Wikipedia. Les journalistes purent-ils dire toute l’horreur que leur inspirait l’action des Farc ? Non ! Il fallait un peu de circonspection tout de même. Les chaînes de la TNT firent souvent intervenir des journalistes pro Farc pour montrer que décidemment ils n’étaient pas des fascistes même s’ils passaient des informations un peu délicates pour l’image de la belle révolution prolétarienne. On eût droit à mille insultes sur Uribe qui « mettait en danger la vie des otages » et « était complices des AUC », à mille observations « sur la violence de la société colombienne alignée sur les Etats-Unis » et ses complicité avec les narco trafiquants.
Mais tout de même. Sous réserve de ne pas rappeler que c’est au nom du triomphe de l’anticapitalisme et du socialisme que les tueurs des Farc agissaient, on pouvait dire un peu la vérité sur le mouvement.
Et Ingrid fut libérée. Elle n’hésita pas. Elle félicita Uribe ce qui fit grincer des dents. Elle souligna la force démocratique de sa réélection et l’efficacité de sa stratégie de guerre à outrance contre les Farc. Elle dénonça le politiquement correct qui longtemps empêcha de dire la vérité sur les Farc.
Mais il n’était plus temps de railler. L’émotion qui soulève le pays à l’annonce de la délivrance surprise des 15 otages par une magnifique opération militaire, ne permet plus de faire trop la fine bouche.
J’ai fait un tour sur le forum du Monde ces deux et trois juillet 2008. Les mêmes qui ont multiplié les injures et les accusations de fascisme pendant dix ans en font des tonnes : ils l’avaient toujours dit que les Farc étaient des vilains et des traitres à la vraie cause du socialisme. Et ils conseillent : pensons maintenant aux autres qu’il s’agit de sortir de l’enfer ! Les bons samaritains.
Mieux vaut en rire.