Rwanda : Un double génocide

Le massacre sauvage des Tutsis par les Hutus au Rwanda a été accepté d'emblée comme un génocide, alors que celui des Arméniens par les Turcs a mis plus de vingt ans à faire l'unanimité et celui des paysans ukrainiens par les dirigeants de l'Union soviétique reste fortement contesté contre toute évidence au moins par une partie de l'opinion socialiste.

Le spectacle innommable d'une partie de la population s'attaquant à coup de machette à l'autre et liquidant près de 500.000 personnes en quelques semaines imposait la qualification de génocide sans contestation possible.

Cette reconnaissance a été d'autant plus facile qu'elle n'impliquait aucune force idéologique en débat en occident. Il n'y avait derrière ces crimes ni fascisme ni socialisme.  On a bien vu que certains, sans doute par habitude, ont essayé comme toujours de faire retomber la responsabilité des évènements sur la droite honnie. Mais on était alors en période de cohabitation Mitterrand-Balladur. Comment accuser l'un en épargnant l'autre, surtout lorsqu'on sait que la responsabilité de la politique étrangère appartient au Président de la République ? Le prurit fut un peu gratté mais sans plus.

En revanche, dès le départ, il nous a semblé que la "jurisprudence de la Shoah" aurait du mal à s'appliquer dans le cas d'espèce. On sait que cette jurisprudence d'essence essentiellement médiatique mais aussi pénale s'applique à :
- Expliciter un devoir de mémoire important et constant
- Refuser tout pardon et rechercher inlassablement les responsables
- Mettre en accusation toutes les causes intellectuelles et tous les comportements qui ont pu rendre possible le génocide
- Sacraliser le peuple  victime.
- Exclure du champ du débat intellectuel et politique les négationnistes et d'une façon générale les partisans des idées qui ont eu des conséquences aussi dramatiques.
- Exiger réparation.   

La difficulté principale d'une attitude aussi linéaire était un fait historique un peu troublant pour nos consciences démocratiques. Les Hutus, races de petite taille, ont été de tout temps sous la domination d'une minorité, les Tutsis, races de grande taille de seigneurs de la guerre. Cette domination raciale d'un peuple majoritaire par un peuple minoritaire est totalement étrangère à notre conception de la démocratie. Dans une perspective de gauche, elle est même franchement condamnable. Une situation différente mais du même genre s'agissant des effets de domination se retrouvait en Afrique du Sud : les blancs minoritaires gouvernaient et les populations noires étaient marginalisées. Personne à gauche n'a jamais soutenu un tel système.   Le principe un homme, une voix est la base de la démocratie même s'il est corrigé par un droit plus ou moins développé des minorités.

Le maintien de la domination des Tutsis sur les forces armées tenant elles même en respect le gouvernement civil ne pouvait qu'être dénoncé dans une optique démocratique. La résistance acharnée des militaires Tutsis du Rwanda, en liaison avec le gouvernement du  pays voisin, dirigé également par les Tutsis, ne pouvait qu'être condamnée par la communauté internationale.

C'est la raison pour laquelle les explications "tribalistes" du conflit entre Hutus et Tutsis n'ont jamais tenues. Le fond du problème est l'application des principes généraux des droits de l'homme et du citoyen, d'origine occidentale, à un pays africain soumis depuis des siècles à d'autres règles.

Autre aspect de ce génocide, il n'a pas été véritablement préparé et commandité par les autorités disposant du pouvoir militaire et policier. Les forces militaires étaient entre les mains des Tutsis. Bien entendu des forces de propagande Hutus, on se rappelle Radio Mille Collines, faisaient chauffer la haine à blanc entre les communautés. Mais elles ne le faisaient pas principalement sur une base raciste : le slogan était plutôt "la démocratie enfin" et la colère dirigée contre ceux qui la bloquaient indéfiniment. La haine du Tutsis ne provenait pas d'une quelconque idéologie de la supériorité de la race des Hutus mais de l'exaspération devant une situation de domination ethnique historique ressentie désormais comme intolérable.

L'espèce de folie qui s'est emparée des Hutus après l'attentat qui a tué le président de la République hutu du Rwanda a plus le caractère d'une révolte et d'une vengeance de masse que d'un crime collectif préparé par des dirigeants, justifié par une idéologie raciste ou socialiste, stigmatisant des ennemis qu'il faut éliminer pour créer la société voulue, organisé patiemment,  les moyens policiers et militaires étant mis en action selon des ordres précis et un plan préparé à l'avance.

La masse s'est jetée sur la minorité au cri de "y en a marre, tuez les tous". Les militaires tutsis du Rwanda ont été dépassés par les évènements. Partout le Hutu en folie tuait son voisin et éventuellement ami Tutsi.

On est très loin des dirigeants  soviétiques liquidant les paysans ukrainiens par millions pour créer le socialisme réel dans un seul pays et faire émerger un prétendu homme nouveau  ou des autorités nazies liquidant tous les juifs sur lesquels ils pouvaient mettre la main pour assainir le monde d'une engeance selon eux historiquement maléfique et souillant le beau sang aryen.

On est moins loin de ce qui s'est passé en Turquie contre les Arméniens. Là aussi la majorité turque était confrontée à une série de défaites à la quelle contribuaient les dirigeants de minorités. Il est bien, clair que de nombreux Arméniens étaient favorables aux Russes et les aidaient effectivement. Dans l'échauffement des haines nées de la guerre le "y en a marre tuer les tous" a trouvé quelques supporters actifs. La différence avec le Rwanda c'est que le massacre a été réalisé par les forces étatiques en place et par l'armée. Son inspiration était nationaliste.  Elle violait le droit des minorités.

Pour les républicains occidentaux la condamnation de la Turquie ne pose pas de problème puisqu'il s'agit d'appliquer directement leurs principes : il y a un droit des minorités ; un état démocratique on ne massacre pas des parties minoritaires de sa population. Il est juste de rétablir les Arméniens dans leur dignité et il faut condamner la répression aveugle et brutale  des autres minorités en Turquie : kurdes etc. L'islamisation honnie de la  Turquie et ses prétentions à rejoindre la communauté européenne sans prendre en compte sa responsabilité dans le massacre des Arméniens ont achevé de convaincre qu'il fallait une reconnaissance générale du génocide arménien et la condamnation des autorités turques  pour la non reconnaissance.  

Rien de tout cela au Rwanda. La suite des évènements a été totalement contraire aux principes des droits de l'homme et du citoyen. Les Tutsis du pays voisin ont décidé de se ruer au secours des Tutsis en cours de massacre. Les forces tutsis des deux pays se sont jointes et ont commencé la chasse au Hutu. Il en est résulté un nouveau massacre encore plus important que le précédent parce que cette fois là organisé par les forces armées. Pendant plusieurs années la chasse au Hutu va se poursuivre provoquant la mort de centaines de milliers de Hutus.  

Au final, bien que le nombre des victimes dans ces circonstances soient très difficiles à évaluer exactement, les Tutsis vont massacrer encore plus de Hutus qu'il n'y a eu de victimes tutsies.  Derrière l'objectif affiché de mettre fin au génocide, on retrouve la traditionnelle volonté tutsie de dominer les Hutus en leur rappelant à l'occasion par un joli massacre qui détient la force. Un des symboles de cette mise en laisse est l'obligation pour les hutus, francophones, de parler désormais l'anglais, le français étant devenu "la langue du génocide" !

Paul Kagamé et ses troupes ont bien commis un génocide contre les Hutus pour des raisons de pure domination raciale et contre tous les principes républicains défendus par les occidentaux. La frénésie de rapprochement de Bernard Kouchner vis à vis de Kagamé a toujours été contestable. Péan le rappelait à juste titre dans son livre sur ce personnage.

Nous sommes donc dans une situation inédite de double génocide.  Avec cette particularité qu'on ne trouve pas de responsables clairs dans la partie hutue et que Paul Kagamé et ses séides tutsis sont au pouvoir et difficilement à portée d'un tribunal pénal traitant du génocide.  

Que peut faire un démocrate dans cette situation ? Prêcher la réconciliation sous domination perpétuelle Tutsi, avec une opprobre perpétuelle sur le peuple hutu dominé et obligé de changer de langue ? Ce serait cautionner une des plus viles situations de domination ethnique qu'on puisse imaginer.  Condamner aussi Paul Kagamé et quelques autres pour génocide ? Certainement. Mais il faut alors une force internationale d'interposition et de tutelle du Rwanda chargé de mettre en place des institutions réellement démocratiques et de démanteler la domination tutsie.

Qui y est prêt ?

Le temps où l'Europe et plus généralement l'occident se croyait moralement assez forts pour imposer ses règles démocratiques n'est plus. L'ONU le pourra-t-elle ?

En tout cas le rapport de sa commission de sa commission des droits de l'homme vient à point et crée une dynamique souhaitable.

Commentaire
Le blog en hommage a Léon Chaix

Léon Chaix est un humaniste de gauche qui a donné son nom a un syndrome essentiel a la compréhension de notre temps. Le syndrome de Léon Chaix décrit  la réponse automatique des adeptes du mouvement socialiste confronté a l'ampleur des crimes contre l'humanité commis en son nom :

  1.  L'occultation
  2.  La négation
  3.  La minimisation
  4.  L'exonération.

Tous ceux qui essaient de dénoncer l'occultation,  de démonter la négation,   de se moquer de la minimisation et de rire des tentatives d'exonération  sont évidemment présentés comme < fascistes > et ne sont dignes que des attaques ad hominem les plus basses. 
Léon Chaix et son ami Didier Dufau ont pendant des années commenté en temps réel sur le forum du journal le Monde les exemples de ce syndrome,   montrant  au jour le jour comment il s'appliquait aux révélations du Livre noir, aux crimes des Farc qu'ils furent longtemps les seuls  a évoquer et a condamner, a ceux du sinistre  Mugabe ou de l'ignoble < Prachandra > le tueur en série du Népal.  Le combat continue ici !

 

BlogCFC was created by Raymond Camden. This blog is running version 5.9.002. Contact Blog Owner